de
Michèle Franceschi et Martine Jardin
Pièce en trois actes
D'après la nouvelle d'Anton Tchékhov

Création à France-Culture le 17 Mars 1991 avec dans les principaux rôles:
Michel Aumont, Jacques Dufilho et Didier Sandre.

Cette pièce a été traduite en allemand sous le titre:
SAAL Nr.6 oder KAUM EIN UNTERSCHIED.

L'hôpital d'une petite ville de province. Le jeune Gromov a été enfermé dans la Salle numéro 6, celle qui est réservée aux fous.

GROMOV se met à parcourir la salle de bout en bout en serrant les pans de sa veste contre lui. Il s'arrête brusquement, secoue la tête, et reprend sa course. Arrivé au bout de la pièce, il s'immobilise de nouveau.

GROMOV
Je les ai vus! (Silence) Ils traînaient leurs chaînes dans la boue le long des murs de la ruelle. Et en face, de l'autre côté, deux hommes se sont arrêtés sans rien dire. Pourquoi ne disaient-ils rien? Délation… Lâcheté… Qui peut jurer qu'il ne connaîtra pas la prison un jour? Personne. Surtout ici. Allez donc vous défendre dans cette ville perdue… Ils étaient si pâles… Toi aussi Sergueï, tu étais pâle. Vers la fin notre mère ne pouvait te regarder sans baisser les yeux. Et qu'ont-ils fait contre le mal qui te rongeait? Qu'ont-ils fait, je vous le demande… Des gouttes de laurier-cerise… C'est tout ce qu'ils ont trouvé…(Sombre) Sergueï ? (Silence) D’ailleurs qu’est-ce que la souffrance pour un juge ou un médecin ? Des heures de présence, rien de plus. La routine en somme. Ça va, ça vient. Ils vous annoncent que vous allez en prendre pour dix ans ou qu’on va vous couper une jambe, et à quoi pensent-ils pendant ce temps-là ? «  Pourquoi diable cette idiote de Sonia Petrovna a-t-elle annoncé deux sans atouts ? Et puis qu’est-ce qu’elle peut bien trouver à cet imbécile de Kalmykov ? » Ils sont tous pareils. La bassesse humaine est un puits sans fond… Quelle absurdité… (Avec égarement) “Whether to suffer… Whether ‘tis nobler in the mind…” C’est cela... “Y a-t-il plus de noblesse” Non... « Y a-t-il pour l’âme plus de noblesse à endurer les coups et les revers d’un sort injurieux, ou à s’armer contre lui pour mettre un terme à une marée de douleur ? » Oui… C’est toute la question. Qui sait… Dans cent ou deux cents ans d’ici peut-être, quand ils se seront éveillés de leur répugnante torpeur… (Sursautant) Ecoutez… Vous entendez? (Silence) Où en étais-je? (Silence) Oui, dans deux cents ans peut-être… La terre alors sera telle qu’on peut la rêver… Le temps… Il faut du temps… (Il s’asseoit au bout de son lit perdu dans ses pensées)